Peter Berry, Ph. D., Bureau des changements climatiques et de la santé, Direction générale de la santé environnementale et de la sécurité des consommateurs, Santé Canada, et Dave Hutton, Ph. D., précédemment du Centre de mesures et d'interventions d'urgence, Agence de la santé publique du Canada, et présentement à l'Office de secours et de travaux des Nations Unies, Cisjordanie
La résilience de nombreuses collectivités canadiennes a été mise à l'épreuve au fil des urgences du siècle dernier. Maintes leçons ont été tirées de ces expériences qui, jumelées aux conclusions d'études de plus en plus nombreuses, révèlent en quoi la résilience communautaire peut être renforcée. Cet article examine la valeur et le rôle de la résilience, qu'il s'agisse de faire face à une catastrophe, de s'en rétablir ou d'en tirer des leçons. Ceci prend une nouvelle dimension dans le contexte des nouveaux enjeux et tendances qui laissent présager des incidences plus graves encore sur la santé humaine.
Le principe de la résilience émerge comme une composante intégrante des pratiques de gestion des urgences au Canada. Ce mot sert habituellement à décrire l'aptitude des individus et des systèmes (familles, groupes et collectivités) à faire face à une difficulté ou à un stress importants de façon non seulement efficace, mais pouvant mener à une meilleure aptitude future à réagir en cas de difficulté1.
Les personnes et les collectivités résilientes souffrent moins que les autres en cas de catastrophes qui menacent leur santé et leur bien-être. La résilience possède trois propriétés qui aident à atténuer la souffrance humaine pendant et après un événement2 :
En général, les Canadiens jouissent d'une bonne santé et d'un bon niveau de bien-être, et ils ont un bon accès aux services de santé et aux services sociaux. Ceci leur procure une solide base de résilience pour composer avec une large gamme de menaces. Mais cette base ne supporte pas tous les segments démographiques de la même façon. Certains individus et sous-groupes de population, comme les personnes pauvres et marginalisées, sont plus vulnérables aux catastrophes et moins résilients que d'autres (voir l'article en page 23).
Le degré de résilience peut aussi varier d'une collectivité et d'une région à l'autre. Divers facteurs de risque sont liés à la fréquence des urgences et à la gravité de leurs effets, y compris la forte densité de population dans les zones urbaines, les établissements humains dans des régions exposées au danger, ainsi que des infrastructures complexes et vieillissantes (voir l'article en page 8). Ces facteurs de risque peuvent réduire la résilience communautaire ou régionale.
Il n'est pas possible -- et tel n'est d'ailleurs pas le rôle de la gestion des urgences -- d'éliminer tous les facteurs qui rendent les gens moins résilients aux dangers. Il faut néanmoins que les gestionnaires des urgences et les décideurs en santé publique collaborent avec les collectivités pour cerner les risques et vulnérabilités et pour mettre au point des ressources et des capacités qui, nonobstant le type de danger, permettront aux individus de se préparer efficacement, de bien réagir et de s'en rétablir adéquatement.
L'un des buts clés de la gestion des urgences c'est d'aider les collectivités à se préparer à faire face à des événements imprévus et parfois accablants pouvant menacer le bien-être physique, économique, social ou psychologique des personnes. Une bonne gestion des urgences souscrit au principe que la meilleure façon d'agir est de collaborer étroitement avec les collectivités pour cerner les dangers et les risques, et pour mobiliser et renforcer les ressources et capacités existantes. En ce sens, la gestion des urgences n'est qu'à la mesure de la collectivité qu'elle dessert.
Une étape essentielle pour protéger les collectivités contre les effets des catastrophes consiste à réduire les incidences possibles d'un danger. Les activités d'atténuation peuvent être structurelles ou non. La promotion de la santé constitue un exemple de mesure d'atténuation non structurelle. En cas d'urgence, les hôpitaux sont surchargés, par conséquent, les personnes les plus gravement malades peuvent avoir de la difficulté à obtenir des soins médicaux. En plus de réduire la pression des demandes sur les hôpitaux, le fait de mettre l'accent sur la prévention et le contrôle des maladies, entre bien d'autres mesures, améliore la santé de la population et la rend plus résiliente aux effets des urgences et des catastrophes.
La décision de bâtir un centre de soins de santé loin des plaines d'inondation ou dans un lieu protégé par un barrage illustre bien la notion des mesures d'atténuation structurelles. La ville de Winnipeg a fait preuve de résilience créative en construisant un canal de dérivation autour de la ville, suite à l'inondation de 1950, causée par la crue de la rivière Rouge. Cette décision a grandement accru sa résistance aux inondations futures (voir l'encadré), tel que démontré lors de l'inondation de 1997, en réduisant les effets sur les collectivités.
Atténuation des dommages liés aux inondations : Le cas de la rivière Rouge au Manitoba3
La ville de Winnipeg, au Manitoba, est située au point de confluence de la rivière Rouge et de la rivière Assiniboine, l'une des plus grandes zones inondables au monde. En 1950, une inondation a forcé l'évacuation de la moitié des Winnipegois, dont plusieurs ont perdu leur maison et leurs moyens de subsistance. Au cours de la décennie suivante, diverses options ont été investiguées pour protéger la ville contre les inondations, indépendamment du coût. Le feu vert a été donné à un projet de construction de 63 millions de dollars (dollars américains) pour la construction d'un canal de dérivation autour de la ville.
Le canal a été achevé en 1967, mais il a fallu attendre jusqu'en 1979 pour le mettre à l'épreuve, alors qu'une autre inondation aux crues semblables à celles de 1950 a été détournée autour de Winnipeg. C'est en 1997 que la rivière Rouge a une fois de plus débordé de ses berges, causant des inondations beaucoup plus graves que les deux précédentes. La vallée de la rivière Rouge a été inondée du sud du Dakota du Nord jusqu'au lac Winnipeg, entraînant des évacuations de masse; quant à Winnipeg, elle n'a pratiquement pas subi de dommage, hormis à quelques propriétés riveraines bâties sur des terrains bas. Sans canal de dérivation, au moins la moitié de la ville aurait été submergée sous un mètre et demi d'eau et les dommages conséquents auraient été de plusieurs milliards de dollars.
Le canal de dérivation de Winnipeg illustre clairement pourquoi les mesures d'atténuation des catastrophes doivent être perçues comme des interventions à long terme dont les coûts sont récupérés au fil de plusieurs générations et dont les bienfaits peuvent prendre nombre d'années à se faire sentir.
Même si, historiquement, le Canada a moins mis l'accent sur la prévention et l'atténuation, la Stratégie nationale d'atténuation des catastrophes4 souligne que l'heure est venue pour le pays d'intensifier ses activités à ce chapitre. La collectivité internationale reconnaît de plus en plus l'importance de mettre l'accent sur l'atténuation et la prévention. Lors de la Conférence mondiale sur la prévention des catastrophes des Nations Unies de 2005, les délégués confirmaient l'importance et la sagesse d'investir, à tous les niveaux, dans une culture axée sur la prévention des catastrophes, la résilience et les stratégies pré-catastrophe5.
L'identification et la compréhension des dangers et risques susceptibles de mettre en péril une collectivité figurent parmi les étapes clés à franchir pour renforcer la résilience. Même si une collectivité est riche en ressources, il importe qu'elle utilise les bonnes ressources et s'en serve de manière efficace et équitable en vue d'intervenir quand des événements particuliers se produisent. Pour être les plus informatives possible, les évaluations des dangers, des risques et des vulnérabilités exigent une bonne compréhension des infrastructures essentielles, ainsi que du lieu, de la fréquence et de l'ampleur prévus d'un danger, et de l'emplacement des populations à risque6.
La récente publication d'un rapport intitulé Santé et changements climatiques : Évaluation des vulnérabilités et de la capacité d'adaptation du Canada fournit des renseignements pour aider les responsables communautaires et régionaux des services de santé publique et les gestionnaires des urgences à évaluer les risques pour la santé qui pourraient découler des changements climatiques et à déterminer les adaptations requises7. Entre autres constatations clés, on prévoit que les changements climatiques exacerberont les conditions météorologiques et autres événements liés au climat, comme les inondations, les sécheresses, les incendies de forêt et les canicules; événements qui menacent la santé des Canadiens. En déployant des efforts pour renouveler et renforcer les infrastructures essentielles, pour aider les individus à se préparer davantage aux urgences et en intensifiant les activités d'atténuation des catastrophes à l'échelle du Canada, il est possible d'accroître notre résilience à ces dangers naturels8.
Les systèmes d'alerte rapide maximisent la probabilité que les gens engagent les mesures nécessaires pour se protéger d'un danger naturel. Ces systèmes ont été conçus pour déceler ou prévoir un éventuel danger et émettre l'alerte qui convient. Le Canada a recours à plusieurs systèmes qui émettent des alertes dans le cas de dangers particuliers (p. ex., canicules, tempêtes). Tous affichent un problème commun, soit le lien ténu entre la capacité technique d'émission de l'alerte et l'aptitude de l'alerte à susciter la réaction recherchée chez les gens9. On sait malgré tout que les systèmes d'alerte rapide aident à sauver des vies en cas de dangers naturels10,11,12,13.
Plusieurs collectivités canadiennes sont aux prises avec des infrastructures vieillissantes, qui sont ainsi plus vulnérables à la destruction et aux interruptions de services pendant une catastrophe14. Puisque les infrastructures modernes servent à plusieurs fins, comme les transports, les communications, l'énergie, les services publics, les systèmes d'eau et les égouts, leurs interconnexions exacerbent la vulnérabilité des collectivités aux catastrophes15. Lorsqu'une collectivité investit dans la construction et l'entretien de ses infrastructures pour mieux résister aux effets d'un nombre croissant d'événements extrêmes, elle améliore sa résilience communautaire pendant et après une catastrophe.
Les infrastructures de santé comme les hôpitaux, les services médicaux d'urgence, les cliniques sans rendez-vous, les pharmacies, ainsi que les services psychosociaux connexes, tels que les lignes de secours et l'aide aux personnes en deuil, jouent un rôle de premier plan dans la santé des gens en temps normal, certes, mais sont essentielles lorsqu'il faut intervenir suite à une urgence ou catastrophe.
La plus précieuse ressource d'une collectivité tient probablement aux gens qui la constituent. Les personnes et les collectivités qui sont victimes d'une catastrophe ne devraient pas être perçues comme des bénéficiaires passifs et sans moyens. On devrait plutôt les considérer comme des partenaires actifs dans la préparation et la planification des mesures d'urgence.
Il est essentiel d'engager les groupes communautaires à participer aux activités de gestion des urgences pour accroître leur résilience. Travailler avec des groupes et des réseaux communautaires peut renforcer les activités d'extension et de sensibilisation destinées au public, sur tout dans le cas de groupes difficiles à joindre ou socialement invisibles (p. ex., les aînés fragiles et vulnérables, les nouveaux arrivants ne parlant ni français ni anglais, les pauvres et les sans-abri). En outre, les partenaires communautaires connaissent souvent mieux que quiconque les besoins particuliers de leurs membres. Même si on apprécie de plus en plus la fonction de partenaire dont s'acquittent les organismes communautaires dans la gestion des urgences, une récente étude révèle que beaucoup d'organismes de gestion des urgences et d'organisations bénévoles du Canada n'ont pas établi les liens, n'ont pas les réseaux et les ressources nécessaires pour maximiser leur potentiel collectif16.
Les organismes publics et privés sont aussi des partenaires de premier plan. Ceux qui se dotent de plans de continuation bien planifiés et éprouvés sont mieux placés pour continuer à offrir des services en cas de catastrophe. En continuant de fonctionner, ils aident également leurs collectivités à revenir à la normale. Les entreprises peuvent aussi jouer un rôle clé en vue de permettre aux collectivités touchées de se rétablir après une catastrophe en leur offrant des ressources financières et de l'équipement et du matériel essentiels.
La résilience des collectivités canadiennes en cas de catastrophe passe nécessairement par l'engagement des individus à planifier et à se préparer en conséquence, la pierre angulaire des collectivités fortes. L'aptitude d'une personne ou d'une famille à garantir son autosuffisance pendant au moins 72 heures suivant une catastrophe allège la souffrance et les difficultés personnelles, tout en réduisant les pressions qui s'exercent sur un système d'intervention surchargé.
Les gestionnaires des mesures d'urgence cherchent constamment à sensibiliser les gens et à les aider à saisir pleinement les risques qui les menacent. Une récente étude menée par l'Agence de la santé publique du Canada et l'Université du Manitoba indique que seulement 16 % des Manitobains interrogés croient qu'une catastrophe va définitivement survenir dans leur région, alors que 53 % croient qu'une catastrophe pourrait survenir mais que c'est peu probable17. Les participants semblent surtout s'inquiéter de questions immédiates comme leur santé personnelle et celle de leur famille. Une étude menée par Santé Canada indique également que même si nombre de Canadiens s'inquiètent des risques pour la santé associés au climat18, ils ignorent souvent les conseils des responsables de la santé publique les encourageant à se préparer en vue de diminuer les risques à leur santé en cas de catastrophes, comme pendant une canicule19.
Lorsque les responsables collaborent étroitement avec les collectivités, ils tendent plus à tenir compte de leurs diverses croyances, attitudes et perceptions au moment de produire des messages et des documents d'information à l'intention du public. Il est alors plus probable que ces individus tiennent compte des renseignements qu'on leur fournit et qu'ils y donnent suite20.
En 2007, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) chapeautait la mise au point d'une stratégie de six ans pour aider le secteur de la santé à renforcer la capacité communautaire afin de protéger la santé des gens en cas d'urgence21. Cette stratégie d'atténuation des risques affirme que malgré le caractère imprévisible des urgences, il y a beaucoup de choses qu'on peut faire pour prévenir et atténuer leurs effets et pour renforcer la capacité d'intervention des collectivités à risque (voir l'encadré).
Dans sa Stratégie de développement des capacités du secteur de la santé et des collectivités, l'OMS énumère les priorités dont doit tenir compte le secteur de la santé pour préserver et protéger la santé des personnes en cas d'urgence21 :
En fin de compte, l'aptitude du Canada à atténuer les menaces sur la santé des catastrophes dépend de l'aptitude des responsables de la santé publique et des gestionnaires des urgences et de leurs partenaires à évaluer les risques communautaires et à planifier, à se préparer et à intervenir adéquatement. Il est crucial de collaborer efficacement avec tous les groupes communautaires, y compris les plus vulnérables de la société. La résilience des collectivités et des individus peut être activement renforcée. Mais pour accroître la résilience à toutes les étapes de gestion des urgences -- prévention, préparation, intervention et rétablissement -- il faut coordonner les efforts. Les mesures que les Canadiens, les collectivités et les chefs de file engagent aujourd'hui pour renforcer la résilience en cas d'urgence auront de profondes répercussions sur la santé publique de demain.
Danielle Maltais, Ph. D., Département des Sciences humaines, Université du Québec à Chicoutimi
En cas de catastrophe, les formes d'aide offerte aux individus et à leur collectivité dépendent d'une gamme de facteurs, dont la gravité de la catastrophe et les caractéristiques de la population touchée. Des facteurs tant sociodémographiques que psychologiques entrent en jeu.
Il importe de respecter et de comprendre les traditions, les valeurs et les ressources d'une collectivité afin qu'elle accepte l'aide psychosociale offerte en cas de catastrophe. À ce sujet, il faut mentionner que les collectivités rurales présentent des spécificités qui peuvent contrer ou faciliter le rétablissement des individus et le déploiement de stratégies collectives favorisant l'atténuation des retombées négatives de l'exposition à une catastrophe. Au niveau socioéconomique, les collectivités rurales semblent désavantagées par rapport aux collectivités urbaines en raison du taux de pauvreté plus élevé de la population, du nombre plus important d'adultes sans emploi ou sous-employés et de la plus forte proportion d'aînés, un groupe qui affiche des besoins uniques en cas de catastrophe (voir l'article en page 23).
Il a été démontré que l'état de santé physique des individus vivant en milieu rural est généralement moins bon et plus fragile que celui des personnes vivant en milieu urbain. C'est ainsi que les individus vivant en milieu rural présenteraient plus de problèmes de santé chroniques, de maladies cardiovasculaires, d'hypertension et de diabète1. De plus, les citoyens vivant dans les municipalités rurales sont désavantagés quant à l'accès aux divers services et soins de santé; les services sociaux et médicaux seraient bien souvent soient absents ou inférieurs à ceux offerts dans les zones urbaines. De plus, l'accès à l'éducation et à la formation ainsi qu'aux infrastructures, aux capitaux et aux services gouvernementaux est limité dans les collectivités urbaines. L'exode marqué des jeunes, la structure économique et la mondialisation sont aussi d'autres éléments qui fragiliseraient les collectivités rurales en cas de catastrophe.
Des études canadiennes confirment la fragilité des individus vivant en milieu rural à la suite de leur exposition à une catastrophe. Une étude réalisée dans deux collectivités rurales de moins de 1 500 habitants a clairement démontré qu'à la suite de graves inondations, la santé physique et psychosociale et le fonctionnement des individus ont été fortement perturbés dans les semaines, mois et années qui ont suivi ces inondations1,2. Les chercheurs ont noté, entre autres, chez les individus, le développement ou l'exacerbation de problèmes de santé, l'apparition d'un sentiment d'insécurité, de signes de dépression, d'anxiété ou de stress post-traumatique, la présence de conflits conjugaux, l'interruption prolongée d'activités sociales ou récréatives, ainsi que des pertes d'emploi.
Dans le cadre d'une étude sur les familles touchées par la tempête de verglas de 1998, les chercheurs ont constaté que les réactions et sentiments des familles rurales avec de jeunes enfants et des fermiers aux prises avec des pannes d'électricité étaient plus négatifs que ceux des gens de la ville et qu'ils étaient confrontés à des problèmes et à des sources de stress plus graves que les résidents urbains3.
Heureusement, certains facteurs sociaux et caractéristiques spécifiques aux collectivités rurales, comme la présence d'une grande capacité d'entraide entre voisins, d'autonomie, de débrouillardise et d'indépendance, ainsi qu'une volonté de préserver sa qualité de vie et le dynamisme de la collectivité font que les individus de milieux ruraux sont généralement résilients en cas de sinistre et arrivent à prendre collectivement des décisions qui favorisent le rétablissement de leur collectivité.
Connie Berry, Bureau du secteur bénévole, Centre pour la promotion de la santé, Agence de la santé publique du Canada et Don Shropshire, directeur national, Gestion des catastrophes, Croix-Rouge canadienne
Le secteur bénévole constitue une composante clé de toute collectivité; par conséquent, il joue un rôle crucial en période d'urgence. Cet article explore diverses facettes de ce rôle, puisant aux résultats de recherches coopératives1 menées par les autorités gouvernementales fédérales, le secteur académique et les organismes bénévoles. Il examine les possibilités qui s'offrent d'intensifier la participation du secteur bénévole pour mieux se préparer et intervenir en cas d'urgences sanitaires, y compris l'aide aux populations à risque élevé.
Le secteur bénévole recoupe une gamme d'organismes sans but lucratif et de groupes communautaires, tels que des groupes religieux, des services sociaux, des associations communautaires et les bénévoles eux-mêmes. Alors que le mandat de certains organismes bénévoles prévoit une intervention en cas d'urgence, la grande majorité des quelque 161 0002 organismes canadiens sans but lucratif enregistrés n'ont pas ce mandat. Quoi qu'il en soit, plusieurs jouent un rôle indirect et les études démontrent que le secteur présente un potentiel inexploité d'enrichir la capacité des collectivités à faire face et intervenir en cas d'urgence sanitaire.
Les catastrophes monopolisent un grand nombre de services de santé et de services sociaux d'urgence. Plusieurs de ces services -- gestion du centre de réception, inscriptions et information, hébergement d'urgence, services alimentaires, vêtements, premiers soins et services personnels -- sont souvent confiés à des organismes bénévoles comme la Croix-Rouge, l'Ambulance Saint-Jean et l'Armée du Salut par les autorités municipales, provinciales et territoriales. D'autres organisations contribuent grandement en offrant d'importants services de soutien et en augmentant la capacité de pointe. On constate aussi l'émergence de nouveaux rôles fort prometteurs :
Beaucoup d'organismes bénévoles constituent un filet de sécurité qui protège les personnes socialement vulnérables en leur offrant des services communautaires tels que ceux des « popottes roulantes » (23 % des organismes bénévoles canadiens desservent les enfants et les jeunes, 11 % s'occupent des aînés et 8 % viennent en aide aux personnes handicapées2). En planifiant la continuité des services, ces organismes peuvent maintenir leurs services en cas d'urgence, ce qui atténue les effets sur les clients et réduit les pressions qui s'exercent sur les services sociaux et de santé d'urgence.
Prêt ou non... le secteur bénévole réagit
La ville de Gander, à Terre-Neuve, a dû accommoder
un influx soudain de 6 600 passagers (une hausse de 63 % de sa
population) provenant de 38 vols détournés vers elle le 11
septembre 20013. Ce jour-là,
les organismes bénévoles ont rendu service à plus de
33 000 passagers déplacés à travers le Canada4.
Lors de la crise du Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), la Croix-Rouge canadienne, l'Ambulance Saint-Jean et l'Armée du Salut ont prêté main-forte aux autorités locales en mobilisant plus de 700 bénévoles et membres du personnel pour remettre plus de 13 500 trousses de santé et paquets de nourriture à plus de 10 000 personnes mises en quarantaine dans leur logement. De plus, elles ont aidé les professionnels de la santé à organiser les services de dépistage dans les aéroports et les Centres d'opérations d'urgence5.
Au-delà des services sociaux et de santé d'urgence, les autorités publiques font de plus en plus appel aux organismes béné voles pour agir dans d'autres secteurs, en raison de leurs connaissances et de la place qu'ils occupent dans le milieu. Ces rôles peuvent être confiés à des organismes et des groupes communautaires ou, de façon moins structurée, à des projets de covoisinage, ils comprennent :
Répondre aux besoins spéciaux - Les gestionnaires des urgences disent qu'en matière de communication des risques, l'un de leurs plus grands défis est d'arriver à « joindre les populations à haut risque pour leur fournir des renseignements et des avertissements ciblés sur les préparatifs d'urgence »6. Les organismes bénévoles peuvent devenir des partenaires naturels dans la planification des avis de santé publique à l'intention de groupes particuliers. À titre d'exemple, des organismes ethnoculturels pourraient aider à surmonter les obstacles culturels et linguistiques auxquels se heurtent parfois les néo-Canadiens.
Exploiter à bon escient les ressources communautaires - Le secteur bénévole a accès à des compétences, à du matériel et à des ressources qui peuvent compléter et enrichir celles des autorités publiques en cas de catastrophe ou d'urgence sanitaire. Lors de la grande panne d'électricité de 2003 dans le nord-est, par exemple, le groupe Ottawa Kids Hotline a répondu à des centaines d'appels venant d'adultes en détresse, ce qui dépassait grandement leur mandat habituel.
Favoriser l'engagement civique - En regroupant une gamme d'intervenants communautaires, les organismes bénévoles7 créent des milieux de vie où, en plus d'avoir accès aux ressources, les citoyens ressentent la responsabilité et le désir de s'en servir8, ce qui fortifie la résilience de la collectivité. Les données probantes révèlent qu'ensemble, un secteur bénévole dynamique et des citoyens engagés jettent les bases d'une solide collaboration en cas d'urgence9. De fait, les citoyens engagés tendent plus à être responsables d'eux-mêmes et de ceux qui les entourent lorsqu'il s'agit d'atténuer un danger ou de réagir à une catastrophe.
Même si le secteur bénévole a réagi efficacement à la crise du SRAS, les organismes en cause ont avoué qu'ils ne seraient pas en mesure d'offrir des interventions semblables si jamais un événement de plus grande envergure survenait. En définissant des stratégies pour accroître la capacité de pointe, ils ont souligné quelques difficultés :
Conscient du potentiel inexploité du secteur bénévole, ce dernier a lancé un projet pour déterminer en quoi les gouvernements et le secteur bénévole pourraient collaborer à l'établissement et au maintien de la capacité de pointe dans le cas d'une urgence de grande envergure. Cette initiative a donné lieu à un Cadre d'action en cas de situations d'urgence sanitaire10 qui encourage tous les organismes à songer à mobiliser leurs ressources pour renforcer les services offerts par les autorités en cas d'urgence sanitaire.
Dans le sillon de ce projet, la Croix-Rouge canadienne s'associait en 2007 à l'université de Brandon, à l'Agence de la santé publique du Canada et à Sécurité publique Canada pour évaluer les obstacles qui empêchent de répondre adéquatement aux besoins des populations à risque élevé et pour déterminer les types de ressources et de réseaux qui faciliteraient la planification pour réduire les vulnérabilités en cas de catastrophes6. Dans le cadre de ce projet, on a procédé à deux sondages en ligne pour recueillir des données de base sur les liens actuels entre les organismes de gestion des urgences gouvernementaux et le secteur bénévole pour évaluer dans quelle mesure ils étaient prêts à répondre aux besoins des populations à risque élevé.
On a demandé aux organismes responsables de la gestion des urgences d'indiquer quelles populations à risque élevé leur organisme prenait en compte au moment de planifier ses mesures d'urgence. Les deux tiers ont répondu qu'ils tenaient compte des aînés et des personnes handicapées (voir le Tableau 1), ce qui porte à croire que le nouvel accent mis sur les problèmes d'âge et d'invalidité commence à porter fruit. Par contre, seul un tiers des organismes semblaient se préoccuper des besoins des minorités culturelles et des femmes. Ces disparités pourraient refléter les obstacles linguistiques qui limitent parfois la portée de l'aide offerte aux nouveaux immigrants, ainsi qu'un manque de compréhension et de formation quant aux circonstances de l'un et l'autre sexe en cas de catastrophe. Une meilleure connaissance des besoins des populations à risque élevé, des besoins que les autorités ignorent peut-être ou qu'elles ne sont pas en mesure de satisfaire, aiderait à cerner des lacunes que le secteur bénévole pourrait être appelé à combler.
Tableau 1 : À la rencontre des groupes à risque élevé : Groupes de populations visés par les activités de gestion des urgences
Groupes de population à risque élevé du Canada |
Réponses des organismes bénévoles (%) |
---|---|
Aînés |
67 |
Personnes handicapées |
61 |
Autochtones |
61 |
Personnes exigeant des services médicaux |
54 |
Personnes à faible revenu |
51 |
Enfants et jeunes |
49 |
Personnes peu alphabétisées |
44 |
Personnes sans adresse fixe |
40 |
Nouveaux immigrants/minorités culturelles |
35 |
Femmes |
26 |
Autre (p. ex., étudiants, santé mentale) |
19 |
Aucun |
9 |
Source : Croix-Rouge canadienne, 20076.
Lorsqu'on a demandé aux organismes bénévoles de déterminer les obstacles qui les empêchaient d'offrir plus de services d'urgence à des groupes très vulnérables, certains ont mentionné le manque de familiarité avec le système de gestion des urgences, l'absence d'un mandat clair en ce sens et une certaine réserve liée aux risques et responsabilités en cause (voir le Tableau 2). Par contre, 70 % des répondants ont souligné un manque de ressources. Puisque le budget de fonctionnement de la plupart des organismes bénévoles est modeste, que leur personnel n'est pas rémunéré11, qu'ils ne relèvent pas d'un organisme cadre et n'ont pas de système de communications structuré, l'occasion s'offre aux organismes de gestion des urgences de renforcer les capacités de ceux qui œuvrent auprès de groupes à risque élevé.
Tableau 2 : Contraintes auxquelles se heurtent les organismes bénévoles
Contraintes organisationelles du secteur bénévole |
Réponse des organismes bénévoles (%) |
---|---|
Contraintes au niveau des ressources |
70 |
Connaissance limitée des systèmes de gestion des urgences |
36 |
Ne fait pas partie du mandat organisationnel |
31 |
Autre (p. ex., manque de personnel formé, mesures d'urgence exclues des grandes priorités) |
26 |
Manque d'initiative organisationnelle/de direction |
20 |
Faible sensibilisation aux dangers et catastrophes |
18 |
Aucune contrainte |
7 |
Source : Croix-Rouge canadienne, 20076.
Les résultats du sondage font ressortir la nécessité de renforcer les liens entre les secteurs de gestion des urgences et bénévole. Quoique 70 % des organismes de gestion des urgences collaborent avec des organismes bénévoles qui s'occupent de groupes à risque élevé, il s'agit le plus souvent de liens permanents avec des groupes déjà engagés dans les services d'urgence, comme la Croix-Rouge, l'Armée du Salut et l'Ambulance Saint-Jean. Ils faisaient rarement mention de coopération avec d'autres types de partenaires, comme des organismes très familiers avec les besoins de groupes à risque élevé particuliers. À titre d'exemple, quand on a demandé à 48 intervenants de faire part des partenariats conclus avec des organismes bénévoles desservant des groupes à risque élevé, ces derniers ont cité trois fois l'Institut national canadien pour les aveugles, une fois les banques d'alimentation (qui sont très familières avec les stratégies de survie des populations à faible revenu) et jamais les refuges pour femmes6.
Du côté des bénévoles, moins de la moitié des répondants semblent entretenir des liens avec un groupe particulier de services d'urgence6. Les organismes bénévoles sont très conscients des effets de telles lacunes. Les consultations auprès du secteur bénévole font ressortir le besoin pour les gestionnaires d'urgence d'être plus sensibles à la désinformation sur les groupes à risque élevé, la nécessité d'améliorer les voies de communication avec ces groupes, et la collaboration avec le secteur bénévole. Malgré un certain progrès en ce sens12, le secteur bénévole doit encore lutter pour faire reconnaître son précieux apport aux secours d'urgence.
Une collaboration accrue entre les gestionnaires d'urgences et les organismes bénévoles à l'étape de la planification donnerait lieu à des plans d'intervention plus solides pour répondre aux besoins variés de la population canadienne. Une compréhension commune et une meilleure intégration de l'apport possible du secteur bénévole aux mesures d'intervention d'urgence aideraient à optimiser les ressources humaines, et autres, ce qui favoriserait une approche intégrée et rentable. Même si, au Canada, on n'a pas encore examiné à fond l'apport économique des organismes bénévoles aux mesures d'intervention d'urgence, son importance est de nature à justifier la tenue d'études plus poussées.
Wayne Dauphinee, Ancien coprésident du réseau de santé publique du Canada, Expert en mesures et interventions d'urgence
Après un événement qui entraîne un grand nombre de blessés, les victimes alourdissent considérablement la charge de travail du système de santé. Cette « crise médicale » peut avoir d'énormes répercussions sur les soins prodigués non seulement aux personnes touchées par l'événement mais aussi sur d'autres qui, sans être touchées, ont également besoin de soins médicaux. Cet article décrit comment on peut arriver à gérer cette crise médicale et souligne l'importance de planifier longtemps d'avance pour accroître la capacité de pointe afin de réduire la morbidité et la mortalité en situation post-catastrophe.
L'un des plus grands défis que doit relever le système de santé du Canada, c'est de se donner la capacité de répondre aux demandes à la suite d'une catastrophe. Pendant cette période, l'objectif est de conserver l'intégrité opérationnelle tout en fournissant l'aide médicale d'appoint qu'exige l'événement. L'aptitude du système à bien faire face à ces deux fonctions influera sur les résultats de santé des patients déjà en traitement, ainsi que sur les taux de morbidité et de mortalité des victimes d'une catastrophe.
Une catastrophe sanitaire est un incident naturel ou provoqué qui submerge les capacités immédiates des équipes d'urgence et des systèmes de santé locaux et régionaux1. Qu'il s'agisse d'une pandémie ou d'un événement causant un grand nombre de blessés, comme une attaque terroriste ou une catastrophe naturelle, ce type d'événement peut produire un très grand nombre de malades et de blessés. Non seulement le système de santé doit être toujours prêt à répondre à tout un éventail de catastrophes du genre, mais il doit aussi pouvoir faire face efficacement à la crise médicale qu'elle entraîne.
Une montée soudaine des besoins médicaux a des effets sur presque tous les aspects des soins de santé, allant des soins sur les lieux avant l'hospitalisation à la réadaptation et au complet rétablissement, en passant par l'urgence de l'hôpital et les soins intensifs. C'est pourquoi la capacité de pointe, soit la possibilité d'étendre les capacités existantes pour répondre à une demande soudaine, est l'un des défis les plus fondamentaux auquel doit faire face un programme sanitaire d'urgence.
La mobilisation des capacités est l'expansion rapide de la capacité existante de répondre aux besoins spécifiques en matière de soins de santé. Cela peut comprendre l'augmentation du personnel (clinique et non clinique), les installations de soutien (laboratoires et services de radiologie), l'espace matériel (lits, aire pour les soins parallèles) et le soutien logistique (équipement et fournitures cliniques et non cliniques). Cette expansion permet de porter un secours et des soins rapides aux malades et aux blessés tout en continuant à prodiguer les soins de routine aux malades et aux blessés déjà dans le système avant la catastrophe.
Les besoins pour répondre à une crise médicale varient selon le genre de catastrophe. Dans le cas d'un événement qui produit un grand nombre de blessés, le système de santé doit faire face à l'un ou à tout les éléments suivants : un afflux soudain de patients ayant besoin d'interventions dépassant la capacité des ressources disponibles; des patients nécessitant des soins spéciaux demandant des compétences avancées (comme les brûlures chimiques); et diverses retombées découlant de la catastrophe qui compromettent la capacité des hôpitaux de soigner les patients (pertes d'électricité ou d'eau).
Les besoins résultant d'une éclosion de maladie infectieuse créent des demandes différentes. Durant une pandémie, par exemple, on a un plus grand besoin de ventilateurs et de médicaments antiviraux et antibiotiques. Ceux qui découlent d'une catastrophe naturelle, quand l'infrastructure est touchée (comme ce fut le cas après l'ouragan Katrina), peuvent nécessiter le déménagement des installations entières de soins et d'établir rapidement d'autres blocs sanitaires.
Les événements créant une crise médicale qui perturbe les opérations ordinaires peuvent être brefs ou s'étaler sur plusieurs jours ou semaines. Les catastrophes naturelles ont des incidences soudaines ou immédiates caractérisées par un grand nombre de victimes au début, nombre qui en général diminue progressivement. Les éclosions de maladie infectieuse ont des effets prolongés qui se distinguent par une augmentation graduelle du nombre de victimes et qui peuvent prendre des proportions catastrophiques avec le temps. Ce type d'événement demande une intervention plus soutenue, ses conséquences s'étalant sur une période beaucoup plus longue que dans le cas d'un événement soudain qui produit beaucoup de blessés presque instantanément2.
La préparation en cas d'urgence dans le secteur de la santé a atteint un tel degré de complexité qu'il faut recourir à de nouveaux modes de planification pour faire face à tout l'éventail des risques et menaces. Cette planification tout risque est très différente de la planification sanitaire ordinaire. La plupart des hôpitaux canadiens fonctionnent régulièrement avec des taux moyens d'occupation très élevés et avec des salles d'urgence engorgées3. C'est pourquoi les moyens classiques, comme faire appel à du personnel supplémentaire ou aligner des lits dans les couloirs, se révèlent inefficaces après une catastrophe. En outre, relativement peu de professionnels de la santé ont la possibilité de se perfectionner dans le traitement des événements causant un grand nombre de blessés. S'ajoute au défi la difficulté d'obtenir des estimations fiables du nombre de victimes.
Relever ces défis exige une capacité d'intervention à la fois souple et échelonnable de sorte que l'on puisse, selon les besoins, faire appel successivement à des paliers de gouvernement plus élevés4. Au cours des dernières années, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont élaboré ou actualisé un certain nombre de ressources essentielles permettant d'augmenter la capacité de pointe (voir l'encadré, page 38).
Gestion des urgences : Initiatives fédérales, provinciales et territoriales actuelles
L'Agence de la santé publique du Canada a mis en place trois initiatives pour venir en aide aux provinces et territoires qui en ont besoin ou pour faire face aux urgences complexes d'envergure nationale :
Dans les situations soudaines mais moins graves, les conséquences sont généralement à court terme et, selon le nombre de victimes, il peut être possible d'y faire face. La plupart des établissements de santé possèdent des plans « oranges » qu'ils déclenchent souvent pour mobiliser et gérer l'intégralité des ressources sur les lieux afin de faire face aux besoins pressants résultant d'un événement ayant produit un grand nombre de blessés. Cependant, plusieurs provinces et territoires peuvent se trouver dépassés par l'ampleur d'une catastrophe sanitaire; les planificateurs des services de santé doivent alors envisager l'éventualité que l'aide extérieure puisse être retardée ou carrément bloquée dans les heures décisives qui suivent l'événement (Figure 1)4.
Figure 1 : Urgence dans le secteur de la santé/capacité d'intervention en cas de catastrophe au Canada
Source : Dauphinee, 20084.
Les responsables de la planification en cas de pandémie savent que, sans un plan bien conçu, le système de santé sera rapidement submergé. Même si les statistiques indiquent que seule une faible proportion des personnes atteintes lors d'une pandémie d'influenza devront être hospitalisées, il reste que le nombre de malades ayant besoin d'une intervention médicale pourrait provoquer l'engorgement des blocs de soins primaires et d'urgence. Pour compliquer encore les choses, beaucoup de fournisseurs de soins de santé pourraient eux-mêmes être indisponibles pour travailler en raison d'une maladie personnelle ou d'exigences familiales.
Il y a des différences fondamentales dans la gestion des patients en cas d'évènements qui produit un grand nombre de blessés comparé aux pratiques appliquées en temps ordinaire. Quand on soigne une victime de catastrophe, il est parfois nécessaire de modifier les normes habituelles afin de réaliser un équilibre entre plusieurs facteurs conflictuels, comme les besoins du traitement, la nécessité d'évacuer, la disponibilité des ressources ainsi que les conditions opérationnelles et celles du milieu. Comme le temps est un facteur essentiel pour réduire la morbidité et la mortalité après une catastrophe, les équipes d'intervention doivent s'appliquer à procurer le plus grand soulagement au plus grand nombre de victimes.
La nécessité d'augmenter la capacité au sein du système de santé après une urgence ou une catastrophe complexe ne se limite pas au secteur des soins de santé, mais s'applique également au système de santé publique. Un certain nombre d'études entreprises après l'épidémie de SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère)5,6,7, notamment le rapport Naylor, insistent sur le fait qu'en matière de santé publique la capacité de pointe revêt une importance vitale pour toute intervention efficace en cas d'urgence sanitaire. Le secteur de la santé publique doit donc avoir aussi ses plans d'urgence couvrant les éléments suivants :
Gestion des urgences dans les laboratoires de santé publique canadiens
Theodore Kuschak, Réseau des laboratoires de santé publique du Canada, Agence de la santé publique du Canada
Durant une urgence sanitaire comme une pandémie d'influenza, les laboratoires de santé publique doivent continuer à effectuer des tests cliniques et de maladies infectieuses tout en traitant un afflux d'échantillons. En 2003, 375 cas probables et supposés de SRAS ont été diagnostiqués au Canada. Au cours de cette période, le Laboratoire national de microbiologie a traité et testé quelque 15 000 spécimens en plus de ses opérations quotidiennes.
Pour faire face aux questions de capacité de pointe, les laboratoires de santé publique se penchent sur six grands secteurs majeurs :
Faire des réserves de réactifs et d'équipements de protection personnelle afin de pouvoir effectuer des tests rapides et sans danger pendant un afflux d'échantillons
Formation polyvalente du personnel afin qu'il y ait suffisamment de personnel disponible pour traiter et tester les spécimens durant une urgence
Employer les meilleures techniques de traitement des échantillons afin de veiller à ce que tous les renseignements sur les échantillons soient bien conservés
Utiliser les meilleures plateformes pour l'analyse des échantillons afin de pouvoir traiter et tester efficacement un très grand nombre d'échantillons
Établir de bonnes communications et échanger les pratiques modèles entre les laboratoires par des réseaux tels que le Réseau des laboratoires de santé publique du Canada
Planifier la continuité opérationnelle dans tout le secteur laborantin afin d'assurer une constante disponibilité durant les crises
Afin de tirer le plus grand parti des moyens disponibles dans une collectivité, les ressources de soins de santé, comme les cliniques sans rendez-vous, les centres de soins d'urgence et les organismes de services sociaux doivent faire partie intégrante de tout plan local d'intervention d'urgence. Cette approche a pour objectif d'accroître la capacité de l'intervention primaire (préhospitalière) de traiter les blessures et maladies mineures. Dans une catastrophe typique produisant un grand nombre de blessés, seulement 10 % à 15 % des survivants souffrent de blessures graves8,9,10. Un grand nombre de survivants sont atteints de blessures légères pouvant être traitées en dehors de l'hôpital.
Les soins préhospitaliers (premiers soins, première intervention médicale et psychosociale et soins provisoires) s'appuieront sur l'intégration de tous les fournisseurs de soins de santé communautaire (personnel médical et paramédical, personnel infirmier, conseillers en santé mentale, ambulanciers et pourvoyeurs de premiers soins). L'évaluation précoce et continue de la situation des victimes permet de les aiguiller vers le palier de soins adéquat à leur condition et à la situation opérationnelle. Si elle est bien mise en œuvre, cette approche peut fortement réduire la pression exercée par la crise sur la salle d'urgence des hôpitaux.
L'un des plus grands défis auxquels doit faire face le système de santé du Canada est de conjuguer les efforts pour optimiser la capacité de répondre aux demandes qui lui sont faites après une catastrophe. L'efficacité du système se mesure notamment par sa capacité de conserver son intégrité opérationnelle tout en minimisant les taux de morbidité et de mortalité chez les victimes de catastrophe. C'est pourquoi les responsables doivent élaborer des plans regroupant ses capacités pour intervenir de façon unifiée et organisée.
La préparation locale pour ce genre de situation et l'effort nécessaire pour y faire face exigent une planification exhaustive mettant à contribution les ressources communautaires, de soins primaires, hospitalières et de santé publique. À mesure que les capacités sont dépassées, on fera alors appel successivement à des paliers de gouvernement plus élevés. La collaboration entre les provinces et les territoires assure les échanges nécessaires de ressources humaines et matérielles pour gérer la crise post-catastrophe.
Tracey O'Sullivan, Ph. D., Faculté des Sciences de la santé, Université d'Ottawa
L'auteur tient à remercier ses collègues de recherche : Carol Amaratunga, maintenant au Justice Institute of British Columbia; Karen Phillips, Louise Lemyre, Dan Krewski, Eileen O'Connor et Wayne Corneil, tous de l'Université d'Ottawa.
Dans tous les pays du monde, les fournisseurs de soins de santé représentent un élément essentiel de la capacité d'intervention en cas d'urgence sanitaire. Ce flash présente les résultats d'un programme de recherche à plusieurs partenaires axé sur le vécu du personnel infirmier au Canada au cours de l'épidémie de SRAS en 2003.
Pendant l'épidémie de Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) survenue en 2003, le monde a fortement pris conscience de l'importance du rôle des travailleurs et des travailleuses de la santé dans un événement biologique au cours duquel 8 000 personnes sur la terre ont été infectées et 774 personnes ont perdu la vie1. L'épidémie a été enrayée par le dévouement des professionnels de la santé qui ont travaillé inlassablement à assurer la sécurité du public2,3. Au Canada, sur les 251 cas de SRAS confirmés, 43 % étaient du personnel de santé. Trois sont morts du SRAS et beaucoup ont souffert de divers problèmes physiques et psychosociaux, notamment de difficultés respiratoires et de stress post-traumatique2.
Un projet de recherche intitulé Comprendre les travailleurs de la santé en tant que premiers intervenants : Accroître la capacité des mécanismes d'appui fondés sur le sexe dans la planification des mesures d'urgence (2004-2008) a permis d'étudier le vécu du personnel infirmier au Canada durant l'épidémie de SRAS4. Ce projet de recherche à plusieurs partenaires, financé par l'Initiative de recherche et de technologie sur les agents chimiques, biologiques, radiologiques, nucléaires et explosifs (IRTC) sous la direction de Recherche et développement pour la défense Canada, a réuni une équipe de chercheurs de l'Université d'Ottawa, du Réseau canadien pour la santé des femmes et de la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières et infirmiers, ainsi que plusieurs partenaires fédéraux, y compris l'Agence de la santé publique du Canada, avec le Réseau canadien pour la santé des femmes de Santé Canada comme premier partenaire fédéral.
Le projet comprenait quatre modules :
Les résultats de la recherche ont révélé d'importantes lacunes dans le soutien organisationnel et social aux travailleurs de la santé en tant qu'intervenants essentiels durant des événements à caractère biologique. Par exemple, le personnel infirmier interrogé a déclaré qu'il ne se sentait pas préparé pour les catastrophes majeures et manquait de confiance dans la capacité d'intervention du Canada.
La formation en cas de catastrophe, notamment la connaissance des plans d'urgence des hôpitaux, constitue une grave lacune dans la préparation du personnel infirmier au Canada. En fait, seulement 7,1 % du personnel infirmier ayant participé au sondage du projet Comprendre les travailleurs de la santé a déclaré qu'il se sentait bien préparé, professionnellement, pour une autre épidémie de maladie infectieuse (Figure 1). La formation et la communication à des intervalles réguliers sont nécessaires pour améliorer la capacité d'intervention lors de la prochaine urgence biologique. Un article a été récemment publié pour présenter les résultats de ce module particulier du projet5.
Figure 1 : Comment le personnel infirmier canadien se sent préparé pour une épidémie de maladie infectieuse, 2008
Source : Amaratunga et coll., 20086.
Nota : n=1 536 (en raison des valeurs manquantes)
Il est essentiel de pouvoir compter sur du personnel bien formé et disponible en cas de crise. Beaucoup de membres du personnel infirmier à temps partiel ou occasionnel constituent ensemble l'équivalent de postes à plein temps lorsqu'ils travaillent dans plusieurs établissements -- on a constaté que la capacité en cas de crise et la lutte contre les infections se heurtaient à des disparités financières et à des inégalités en matière d'avantages sociaux. Les infirmiers et infirmières à temps partiel sans avantages sociaux hésitent davantage à rester chez eux quand ils sont malades. En outre, on compte sur eux dans plusieurs établissements pour assurer la capacité de pointe, avec un risque d'épuisement ou de conflit de rôles quand ils essaient de répondre à des demandes conflictuelles de la part de différents employeurs. Pour protéger les ressources humaines, toute politique nouvelle ou révisée devrait prévoir des soutiens assurant l'équité entre les sexes, comme un salaire et des avantages équitables pour tout le personnel infirmier.
Le conflit de rôles s'est révélé comme un thème dominant de ce projet. Les membres du personnel infirmier ont exprimé des soucis fortement ressentis en parlant de leur crainte de mettre leur famille en danger et de la possibilité de n'avoir pas accès aux vaccins pour se protéger eux-mêmes ainsi que leurs familles. C'est pourquoi il serait bon d'établir des politiques de soutien, comme des priorités de groupe pour les familles des travailleurs en soins de santé; ces politiques allègeraient la pression des conflits de rôles sur les professionnels de la santé.
Enfin, les infirmiers et infirmières qui ont participé à la recherche se sont dits profondément préoccupés par le manque de fiabilité de l'information disponible durant l'épidémie de SRAS. Ils ont insisté sur la nécessité d'avoir un leadership sérieux et coordonné durant les épidémies afin d'offrir un soutien organisationnel aux intervenants de première ligne qui mettent leur vie en danger pour offrir des soins. Il est nécessaire d'observer des pratiques modèles dans la communication des risques avant, pendant et après un événement biologique afin de donner confiance aux employés comme au public.
En bref, plusieurs aspects de notre système actuel de prestation des services de santé au Canada influencent notre capacité de planification, d'intervention et de rétablissement en cas de catastrophe majeure. Le personnel infirmier ne se sent généralement pas préparé et manque de connaissances sur les plans d'urgence dans les hôpitaux. Il faudrait donc revoir les stratégies concernant les ressources humaines afin de pouvoir compter sur le personnel infirmier à temps partiel pour renforcer la capacité en cas de crise, car ces stratégies pourraient limiter l'intervention d'urgence, surtout dans les événements biologiques. Les organismes de santé et les décideurs doivent reconnaître le poids écrasant des conflits de rôles vécus par le personnel infirmier et d'autres professionnels de la santé. Des systèmes de soutien tels que des dispositions pour les familles des travailleurs en soins de santé et l'accès à des renseignements fiables doivent être mis en place pour alléger cette source de stress psychosocial. Enfin, il est impérieux d'avoir un leadership d'avant garde capable de traiter les aspects psychosociaux des catastrophes et d'offrir un maximum de soutien aux professionnels de la santé afin qu'ils puissent donner leur plein potentiel quand on leur demande leur aide en cas de catastrophe.
John Lindsay, Department of Applied Disaster and Emergency Studies, université de Brandon
La gestion des urgences est un domaine professionnel jeune autour duquel se développent d'importants travaux de recherche. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu beaucoup d'échanges entre la gestion des urgences et la recherche en sciences sociales (y compris la santé), même si les deux secteurs ont été rapprochés par de récents événements.
Douze secteurs de recherche offrant des possibilités d'améliorer les rapports entre la gestion des urgences et la recherche dans le secteur de la santé ont été identifiés1. Les points suivants montrent comment la recherche peut être focalisée dans chaque secteur.
Vulnérabilité et résilience : Pour améliorer les pratiques de gestion des urgences, il est essentiel de comprendre les déterminants de la vulnérabilité2. Le potentiel de réduction des dommages causés par le choc d'un événement en renforçant la résilience des collectivités est beaucoup plus important que par l'amélioration progressive des techniques d'intervention en cas de catastrophe. L'étude des moyens de renforcer cette résilience, surtout par l'amélioration de la santé communautaire en général, constitue un sujet de recherche important.
Risques technologiques : Notre société fait face à une profonde crise d'infrastructure. Le vieillissement de l'infrastructure est à l'origine d'accidents plus fréquents et plus graves, comme les chutes de pont fatales survenues à Montréal en 2006 et à Minneapolis en 2007. De plus, l'insuffisance de l'entretien et de l'expansion se déclarent à un moment où la société devient plus dépendante des services fournis par l'infrastructure. Ce facteur a une évidente incidence sur le secteur de la santé du fait que la population compte sur les systèmes d'eau et d'électricité et l'accès aux services externes pour entretenir sa santé. Le risque d'une interruption de service prolongée de l'infrastructure qui enverrait les blessés aux établissements de santé tout en réduisant simultanément la capacité de ces établissements de remplir ses fonctions est une menace qui mérite d'être étudiée sérieusement.
Minorités ethniques : Parmi les déterminants plus généraux de la vulnérabilité (voir l'article en page 23), il serait utile d'envisager les défis particuliers que doivent relever certaines minorités ethniques, notamment dans le cas des nouveaux immigrants qui arrivent au Canada avec des désavantages linguistiques, financiers et sociaux dans leur communauté. Il est fréquent que les facteurs qui rendent ces groupes vulnérables dans une catastrophe déterminent leur perception de la notion de risque3.
Enquête sur le terrain sur l'incidence d'une catastrophe : Les événements sanitaires comme l'éclosion du Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ou l'épidémie d'E. coli à Walkerton peuvent offrir des occasions de recherche conjointe permettant d'améliorer la gestion des urgences pour des risques similaires, notamment les événements causés par des conflits comme le terrorisme ou les effets secondaires tels que l'eau contaminée après un tremblement de terre. Même les événements qui ne dépassent pas la capacité de la collectivité à y faire face, comme la propagation du virus du Nil occidental au Canada, peuvent servir d'exemples de catastrophes « manquées de peu » et révéler des insuffisances systémiques à régler.
Études longitudinales : La nécessité d'entreprendre des études longitudinales sur les incidences sanitaires d'une catastrophe, comme les incidences sur la santé mentale ou les effets des moisissures après une inondation, appelle une collaboration plus étroite entre les chercheurs dans les domaines de la santé et de la gestion des urgences. Le succès (ou l'échec) dans l'atténuation des risques et le renforcement de la capacité communautaire à réduire les pertes causées par une catastrophe est une question connexe qui se pose à long terme et qui doit être examinée. Tout comme en santé publique, les bons résultats découlant d'un changement d'attitude du public ou d'une meilleure éducation ainsi que d'une plus grande sensibilisation peuvent ne pas se manifester immédiatement. La recherche sur la gestion des urgences profitera donc de l'application d'horizons temporels correspondant mieux aux études sur la santé de la population.
Recherche théorique : Il arrive souvent que la recherche théorique sur les causes profondes et les améliorations systémiques donne de meilleurs résultats à long terme que les acquis à court terme dans les méthodes d'intervention4. En retour, cela peut conduire à des recherches sur un large éventail de sujets, comme la définition de ce qui constitue une urgence sanitaire ou la dimension éthique de l'application d'austères mesures de triage. L'examen de ces questions fondamentales établit le cadre pour d'autres recherches sur des sujets encore plus spécifiques.
Santé physique et psychologique : L'étude des traumatismes dus à des dangers précis et d'autres aspects des interventions médicales en cas de catastrophe a toujours été une base importante de la recherche sur la santé. Il serait bon de l'élargir pour inclure les répercussions à long terme des blessures et des problèmes de santé psychologique dus aux catastrophes. En outre, il faut examiner la protection des installations de santé contre les dommages matériels et la lutte contre les infections durant un événement, sous l'angle du bien-être des travailleurs en soins de santé.
Santé environnementale : Les dangers qui se déclarent immédiatement après une catastrophe ont été mis en évidence par de récents efforts, comme les études en cours examinant les incidences sanitaires sur les équipes de secours sur l'emplacement du World Trade Center. La recherche sur ces questions de santé environnementale touchant les intervenants et les résidents du secteur pourrait être le premier pas qui amènera les épidémiologistes et d'autres chercheurs en santé à s'engager dans l'étude des catastrophes.
Secteur bénévole : La planification pour la pandémie d'influenza a été l'amorce d'un rapprochement entre les fournisseurs de soins de santé et les organismes bénévoles. Les nouvelles idées sur la façon dont ces organismes bénévoles peuvent seconder les efforts du secteur de la santé pour accroître la capacité de pointe soulèvent d'autres questions portant sur les titres et certificats, la formation et la rétention ainsi que sur les cadres de pratique. On peut proposer et étudier des solutions pour en déterminer l'efficacité dans le but de dégager des pratiques modèles.
Préparation communautaire : La forte influence du Canada sur l'élaboration d'une approche de santé pour la population témoigne du leadership que pourraient avoir ses chercheurs sur la pratique de la gestion des urgences. La préparation communautaire pour les catastrophes, axée sur la réduction des vulnérabilités et le renforcement de la résilience peut bénéficier de l'expérience et de la recherche pour la promotion de la santé.
Modifier les attitudes : Nous avons besoin de nouvelles approches pour planifier les urgences dans nos collectivités. Le secteur de la santé peut contribuer à cet effort parce qu'il a établi des partenariats avec des collectivités géographiques et thématiques, comme les groupes de défense des droits des patients. De leur côté, les gestionnaires des urgences doivent étudier un plan avec les collectivités au lieu d'établir un plan pour elles. Cela est particulièrement vrai lorsqu'on envisage les défis auxquels font face les plus vulnérables de nos collectivités. Répondre à leurs besoins n'est pas une activité purement altruiste puisqu'il s'agit d'une contribution générale à la résilience de la collectivité.
Disciplines intégrées : Le lien entre la littérature sur la santé et les études sur les catastrophes n'est qu'un seul trait d'union parmi une multitude de liens dans un domaine vraiment pluridisciplinaire. Maureen Fordham, chercheure britannique lauréate d'un prix en gestion des urgences, prône le respect des différences entre les domaines d'étude tout en adoptant la notion de « co-évolution avec échanges féconds » pour les questions d'intérêt commun6. La perspective de la recherche sur les catastrophes et la santé s'engageant dans ce genre d'échange recèle un potentiel plus prometteur pour améliorer la gestion des urgences que le fait de poursuivre des recherches séparément.
« Les responsables de la gestion des urgences doivent stimuler le sens de la responsabilité individuelle pour la sécurité des collectivités et le sens de la responsabilité collective face à la vulnérabilité5. »
Le programme de recherche de l'avenir doit englober toutes les facettes de la gestion des urgences et adopter une approche pluridisciplinaire. Les chercheurs doivent creuser dans des terrains peu connus pour trouver les racines de la recherche coopérative; ils doivent aussi valoriser la diversité des contributions. La gestion des urgences est un domaine professionnel encore jeune appuyé sur un bassin de connaissances en pleine expansion. Son entrée dans le secteur établi de la recherche et de la pratique dans le domaine de la santé doit être accueillie et respectée pour que les deux domaines profitent pleinement de leur interaction. Le but commun d'établir des collectivités plus sûres, en meilleure santé et plus résilientes rend cette entreprise à la fois possible et impérative.
Qui fait quoi? est une chronique régulière du Bulletin de recherche sur les politiques de santé qui présente les chercheurs clés s'intéressant aux politiques sous l'angle de la thématique de chaque numéro. Dans ce numéro, nous présentons un survol de la gestion des systèmes d'urgence sanitaire au Canada connus sous le nom de Système national de gestion des incidents dans le domaine de la santé1.
Dave Hutton, Ph. D., précédemment du Centre de mesures et d'interventions d'urgence, Agence de la santé publique du Canada, et présentement à l'Office de secours et de travaux des Nations Unies, Cisjordanie.
L'auteur remercie Nancy Scott, Direction de la recherche appliquée et de l'analyse, Direction générale de la politique stratégique, Santé Canada, pour son aide à la préparation de cette chronique.
La gestion des urgences au Canada est une responsabilité partagée. La coordination d'une intervention dans les urgences de grande envergure exige des capacités supplémentaires de la part des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux dont les efforts conjugués assurent une action cohérente et concertée dans les différents systèmes et administrations. Ce genre de collaboration des divers paliers de gouvernement exige avant tout que les parties concernées aient les mêmes attentes et connaissent les rôles et responsabilités de tous leurs partenaires.
Chaque palier de gouvernement a des lois qui délimitent ses rôles et responsabilités pour la préparation et l'intervention en cas d'urgence, y compris l'autorité désignée pour déclarer et gérer les urgences. Indépendamment du niveau d'intervention et de soutien, c'est presque toujours aux autorités locales affectées qu'incombe la gestion des opérations en situation d'urgence. Celles-ci peuvent cependant profiter des conseils et de l'aide de représentants de ministères et organismes provinciaux afin d'assurer une intervention provinciale-municipale coordonnée. De même, le gouvernement fédéral peut aider une province ou un territoire -- habituellement par la coordination et des ressources prélevées sur la Réserve nationale de secours -- si l'événement dépasse la capacité d'intervention et de rétablissement de la région touchée.
Dans cette structure, le Canada reconnaît également ses responsabilités et obligations à l'égard de la communauté internationale, étant membre de l'Organisation mondiale de la santé et signataire du Règlement sanitaire international. Lorsqu'un événement touchant la santé publique risque de prendre des proportions internationales, qu'il provienne de l'intérieur ou de l'extérieur du pays, les gouvernements du Canada doivent pouvoir appliquer des plans d'urgence et de communication bien coordonnés avec leurs partenaires internationaux.
Comme dans la plupart des cas les urgences surviennent et sont gérées à l'échelle locale, il est important que les autorités locales et régionales soient reconnues comme faisant partie des systèmes de gestion des urgences sanitaires du Canada. Il est important, en outre, que la préparation des urgences soit prévue et ciblée pour les interventions de première ligne. Les programmes de santé communautaire doivent être organisés pour faire face aux urgences et continuer d'offrir des services de santé tout en veillant sur la santé et la sécurité de leur personnel. Ils doivent également être intégrés avec les agences et programmes locaux et régionaux de gestion des urgences ainsi que dans le plan plus vaste de gestion des systèmes d'urgence à l'échelle provinciale et territoriale.
Les ministères provinciaux et territoriaux de la santé ont un rôle central à jouer dans la mise en place de structures et programmes de gestion des urgences pour répondre aux risques et menaces tout en veillant à ce que les activités de préparation et d'intervention soient fondées sur les mêmes directives et principes fédéraux, provinciaux et territoriaux de gestion des urgences.
Les ministères de la santé jouent un rôle de premier plan dans la préparation des systèmes de santé et des services sociaux de leur province ou territoire (planification, coordination et communications). Ce rôle comprend habituellement l'élaboration de mesures législatives et réglementaires, l'établissement de normes et directives pour les programmes de gestion des urgences et la mise en œuvre des plans et politiques nécessaires à un programme provincial-territorial coordonné de gestion des urgences. Ces ministères peuvent également coordonner les ressources nécessaires pour les urgences, notamment par des ententes d'aide bilatérales avec les provinces, les territoires ou les États voisins.
Le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire de Sécurité publique Canada, a un rôle clé à jouer pour élaborer une politique nationale et des plans et normes d'intervention d'urgence ainsi que pour offrir un soutien didactique et financier aux intervenants chargés de la gestion des urgences.
Dans le secteur de la santé, le portefeuille de la santé, y compris l'Agence de la santé publique du Canada (ASPC) et Santé Canada, est chargé de coordonner les activités d'intervention d'urgence. Au sein de l'Agence, le Centre de mesures et d'interventions d'urgence (CMIU) collabore avec le Bureau des mesures d'urgence de Santé Canada au niveau de la préparation et de l'intervention en cas d'urgence.
Durant les urgences de compétence nationale, le Centre d'opérations d'urgence du portfeuille de la santé s'occupe de coordonner la planification, les communications et la prise de décision entre les provinces et les territoires. Ce mandat est rempli en suivant les protocoles opérationnels fédéraux, provinciaux et territoriaux énoncés dans le Système national de gestion des incidents dans le domaine de la santé1.
Santé Canada assure les soins de santé d'urgence pour les Premières nations et les Inuits. Avec l'ASPC, le ministère travaille à planifier les préparatifs pour faire face à une pandémie d'influenza et approuve de nouveaux médicaments et vaccins pour traiter la population et minimiser la propagation de la maladie dans le cas d'une éclosion. De plus, le ministère dirige les activités de préparation du gouvernement du Canada pour les urgences radiologiques et nucléaires dans le cadre du Plan fédéral en cas d'urgence nucléaire et offre soutien et expertise scientifique pour les urgences chimiques. En outre, Santé Canada s'occupe de diriger l'Initiative de sécurité sanitaire mondiale (ISSM) et de mettre en œuvre le Guide d'interventions lors d'éclosions d'intoxication alimentaire.
Les gouvernements s'appuient sur le secteur non gouvernemental et bénévole pour l'expertise en matière d'intervention d'urgence, les compétences et ressources spécialisées ainsi que pour leur capacité de s'adapter et de répondre rapidement aux situations émergentes. Plusieurs provinces et territoires ont des contrats avec des organismes non gouvernementaux comme la Croix-Rouge canadienne et l'Armée du Salut, pour fournir des services essentiels pendant les urgences. Ces services comprennent, sans s'y limiter, l'installation d'abris d'urgence et l'approvisionnement en nourriture, l'inscription et les demandes de renseignements, les services personnels et de soutien psychosocial de base. De plus, le secteur bénévole possède d'importantes capacités dont les autorités publiques peuvent avoir besoin en cas d'urgence sanitaire, notamment la capacité de mobiliser les bénévoles, l'accès aux contacts et réseaux locaux ainsi que la connaissance acquise de la collectivité. Les organismes professionnels de la santé jouent un rôle de premier plan quand il s'agit de soutenir les professionnels du domaine, entreprendre des recherches, faire la promotion de meilleures pratiques et renseigner le public.
La gestion des urgences n'appartient pas exclusivement à une province ou à un territoire, mais exige une étroite collaboration entre les partenaires gouvernementaux et non gouvernementaux. Cette structure complémentaire, qui constitue le Système national de gestion des incidents dans le domaine de la santé, garantit une approche intégrée et coordonnée pour gérer les urgences sur l'ensemble du territoire canadien. Elle est aussi la pierre angulaire sur laquelle les provinces et territoires peuvent continuer à bâtir et à renforcer la capacité de préparation et d'intervention du Canada pour les urgences de toutes sortes et de toutes ampleurs.
Santé Canada, en collaboration avec Statistique Canada et l'Institut canadien d'information sur la santé, publiera bientôt un rapport intitulé Les Canadiens et les Canadiennes en santé : Rapport fédéral 2008 sur les indicateurs comparables de la santé. Ce rapport contient des données sur la population canadienne selon 37 indicateurs approuvés par les ministres de la santé en 2003. Il porte notamment sur le rendement du système de santé et l'état de santé des Canadiens et Canadiennes. On y trouve également des renseignements sur les Autochtones et les Inuit. Même s'il comprend quelques comparaisons internationales, le rapport ne renferme aucune donnée sur les provinces et les territoires. Il a été préparé à la suite de consultations approfondies et avec l'apport de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, d'autres bureaux de Santé Canada ainsi que de l'Agence de la santé publique du Canada. Les Canadiens et les Canadiennes en santé sera disponible à cette adresse : http://www.hc-sc.gc.ca/hcs-sss/indicat/index-fra.php
Utilisation des données relatives à la santé au Canada est une chronique régulière du Bulletin de recherche sur les politiques de santé qui met en lumière les diverses méthodes utilisées pour recueillir, analyser et comprendre les données sur la santé. Dans ce numéro, il est question des données sur les catastrophes, de la façon dont celles-ci sont mesurées, de leurs limites ainsi que de diverses bases de données disponibles sur les catastrophes.
Stéphane L. Paré, Direction de la recherche appliquée et de l'analyse, Direction générale de la politique stratégique, Santé Canada
Malgré d'importantes améliorations au cours des dernières décennies, les données sur la fréquence des catastrophes et leurs incidences demeurent quelque peu problématiques. L'un des principaux problèmes réside dans l'absence de définitions normalisées et acceptées, notamment concernant des catégories imprécises telles que les « déplacements internes » de personnes, voire même les personnes « touchées » par une catastrophe.
Souvent, les données sont recueillies à partir de diverses sources publiques (journaux, rapports d'assurance, organismes d'aide, etc.). L'information originale n'est pas spécifiquement recueillie à des fins statistiques; il est donc probable que, même si l'organisme chargé de la compilation applique des définitions strictes pour les événements et les paramètres concernant les catastrophes, le fournisseur initial des renseignements n'a pas fait de même de son côté.
Le Centre de recherche sur l'épidémiologie des désastres (CRED) est la source principale de données internationales sur les catastrophes pour plusieurs rapports, tels que le Rapport annuel sur les catastrophes dans le monde1. Pour qu'une catastrophe soit enregistrée dans la base de données du CRED (EM-DAT), elle doit répondre au moins à l'un des critères suivants :
Le nombre de personnes tuées comprend les morts confirmées ainsi que les personnes disparues ou présumées mortes.
Les données sur les morts sont habituellement disponibles parce qu'elles constituent un témoin immédiat de la gravité de la catastrophe. Cependant, les chiffres avancés immédiatement après une catastrophe peuvent être modifiés ultérieurement, voire même plusieurs mois après1.
Le nombre de personnes touchées par une catastrophe comprend les blessés, les sans-abri et celles qui ont besoin d'une aide immédiate (personnes ayant besoin d'eau, de nourriture, d'un abri, etc.) pendant une période d'urgence; il peut aussi comprendre les personnes déplacées ou évacuées.
Les données sur le nombre de personnes touchées peuvent être parmi les plus utiles, mais elles sont parfois mal déclarées. Dans les situations de conflit, par exemple, chaque groupe voudra maximiser la sympathie du public pour sa cause et gonfler le nombre de personnes déclarées souffrantes dans son camp1. Même en l'absence de manipulation politique, les données sont souvent tirées d'anciens recensements, avec des suppositions faites sur le pourcentage de la population touchée dans une région donnée. Extrapoler sur des estimations afin de présenter des données actuelles et estimer ensuite le pourcentage de la population que l'on suppose touchée peut amplifier les erreurs du recensement initial et parfois rendre les données finales presque sans valeur2.
Les dommages financiers d'une catastrophe comprennent habituellement les conséquences directes de celle-ci sur l'économie locale (dégâts infligés à l'infrastructure, aux récoltes, aux habitations) et ses conséquences indirectes (perte de revenus, chômage, déstabilisation du marché)1.
L'estimation des dommages doit être traitée avec prudence, parce que :
Pour les catastrophes naturelles survenues au cours de la dernière décennie, les données sur le nombre de morts manquent pour environ le dixième des catastrophes déclarées. Les données sur les personnes touchées manquent pour environ le cinquième des catastrophes et celles qui concernent les dommages financiers manquent dans 85 % des cas1. Les données ne devraient donc avoir qu'une valeur indicative et, par conséquent, les tendances et les changements relatifs sont plus utiles à examiner que les données telles quelles.
Malgré tout, les systèmes d'information se sont améliorés au cours des 25 dernières années; c'est pourquoi les données statistiques sont beaucoup plus faciles à trouver. Par exemple, une augmentation du nombre de victimes de catastrophe ne signifie pas nécessairement que les catastrophes ou leurs incidences augmentent, mais peuvent simplement refléter une amélioration dans le rapport des données. Cependant, des lacunes persistent : une analyse de la qualité et de l'exactitude des données sur les catastrophes effectuée par le CRED en 2002 a révélé que pour une même catastrophe il pouvait exister à l'occasion des différences de plus de 20 % entre les données quantitatives des grandes bases de données1.
Voici les plus importantes bases de données publiques canadiennes et internationales, de langue anglaise, sur les catastrophes.
La base
de données la plus complète sur les catastrophes au Canada comprend les
données sur tous les types de catastrophe (sauf la guerre). Elle contient
des renseignements sur la date et le lieu où la catastrophe est survenue,
le nombre de personnes tuées ou touchées, ainsi qu'une estimation
approximative des coûts directs associés à cette catastrophe
(si disponible). Pour plus de renseignements, visiter : http://www.securitepublique.gc.ca/res/em/cdd/index-fra.aspx
EM-DAT : Base de données sur les événements d'urgence
La base de données EM-DAT est
tenue par le CRED,
un centre de collaboration de l'Organisation mondiale de la Santé basé à l'École
de santé publique de l'Université catholique de Louvain, en
Belgique. Bien qu'il soit principalement centré sur la santé publique,
le CRED étudie
aussi les effets socioéconomiques et à long terme des grandes
catastrophes. Les données proviennent de sources diverses, notamment
des organismes des Nations Unies, des ONG (organisme non gouvernemental), des
compagnies d'assurance, des instituts de recherche et des agences de presse.
Elles portent sur la fréquence et les effets de plus de 16 000
catastrophes de masse dans le monde de 1900 à nos jours. Le premier
objectif de cette base de données est de seconder l'action des organismes
humanitaires. Pour plus de renseignements, visiter : http://www.emdat.be/
DISDAT - Disaster Data Portal (portail de données sur les catastrophes)
Fruit d'une collaboration entre le Global Risk Identification Program (GRIP)
et le CRED,
le portail DISDAT fournit
un point d'accès central aux initiatives
de collecte de données sur les catastrophes dans le monde. Il contient
47 bases de données enregistrées. Pour plus de renseignements,
visiter : http://www.disdat.be/database/search/advsearch.php
NatCatSERVICE®
Administré par le groupe Munich RE, l'une des plus grandes compagnies
de réassurance dans le monde, NatCatSERVICE® contient
des renseignements sur les événements de dangers naturels dans
le monde au cours des 30 dernières années. On y trouve des données
limitées sur les pays à faible densité d'assurance (Afrique,
Asie et Amérique Latine, notamment dans les régions rurales).
La base de données n'est pas entièrement accessible au public.
Pour plus de renseignements, visiter : http://www.munichre.com/en/ts/geo_risks/natcatservice/default.aspx
DesInventar
DesInventar couvre
16 pays d'Amérique latine et des Antilles. La base contient des données
sur les catastrophes nationales à partir des données locales
sur les pertes humaines et économiques. Il existe des bases DesInventar
infranationales pour certains États américains, le Brésil,
la Colombie, l'Afrique du Sud et l'Inde. La base n'est pas entièrement
accessible au public. Pour plus de renseignements, visiter : http://online.desinventar.org/?lang=en